Soutenance d’HDR : Bruno Gnassounou

Soutenance d’HDR : Bruno Gnassounou

Bruno Gnassounou soutiendra son HDR « La règle et l’action», parrainé par
Stéphane Chauvier, le 15 novembre 2014 de 14h à  18h, Amphithéâtre Chasles
En Sorbonne – 17, rue de la Sorbonne 75005 Paris.

Membres du jury

  • Stéphane Chauvier (Professeur à  l’Université Paris IV)
  • Vincent Descombes (Directeur d’études à  l’EHESS)
  • Bruno Karsenti (Directeur d’études à  l’EHESS)
  • Muriel Fabre-Magnan (Professeur à  l’Université Paris I)
  • Jean-Baptiste Rauzy (Professeur à  l’Université Paris IV)
  • Julia Tanney (Professeur à  l’Université de Kent)

Présentation

Ma recherche, qui s’inscrit plutôt dans le courant de la philosophie
analytique, concerne essentiellement les notions de règle et d’action.
Considérant que la notion de règle est nécessairement d’ordre pratique (on
pourrait aussi bien employer le terme d’« institution »), je montre
qu’ainsi comprise, elle permet de rendre compte des qualités modales que
nous attachons aux opérations d’un agent. Nous disons d’un individu, en
mathématiques, que s’il additionne 12 et 13, il doit trouver 25 ; nous
disons aussi que s’il a déclaré qu’il allait accomplir une certaine
action, alors il doit s’exécuter. Les deux inédits constituent la mise en
oeuvre de cette thèse dans le domaine de la philosophie du langage (et en
particulier de l’identité), et dans le domaine de la philosophie du droit
et de la morale.

1) Dans le premier inédit, Donner un nom, je me propose de rendre
compatible une conception de l’identité qu’on peut appeler anaphorique, où
celle-ci se manifeste essentiellement par la répétition d’une variable
dans une proposition quantifiée, ou par un nom dans une proposition
singulière et une conception que l’on peut appeler relationnelle de
l’identité. i) Dans le premier cas, l’identité est exprimée par une phrase
comme : « Jean a pris le parapluie, puis Jean est allé au marché »,
c’est-à – dire : « Jean a pris le parapluie, puis le même homme est allé au
marché ». Cette identité est liée à  l’introduction du nom d’une personne
(d’un objet, d’un événement) dans le langage, qui nous oblige à  introduire
un critère d’identité (ou « règle d’identification ») permettant un usage
futur du même nom, c’est-à -dire une ré-identification de la personne. Ce
critère d’identité est fourni par le genre, la sorte, de chose à  quoi nous
avons donné un nom ; ii) le deuxième sens de l’identité se manifeste dans
des énoncés relationnels : « Jean est la même personne que John Vegas, le
chanteur », qui ont été prioritairement, depuis Frege, l’objet d’enquête
philosophique.

Certains, comme le philosophe contemporains britannique, Christopher
Williams, assurent que ces énoncés relationnels n’ont pas de sens si on
accepte la conception anaphorique de l’identité, comme je le fais,
largement d’ailleurs sous son influence. Je défends l’idée que cela tient
à  une conception erronée des noms propres, chez Williams, qui n’associe
pas ces noms à  des critères d’identité. Je montre comment la logique de
l’imposition des noms aux choses et aux personnes nous contraint de
soumettre l’usage du nom à  une certaine règle qui est fournie par le genre
de chose qui est nommé. Du coup, je peux montrer comment un énoncé
d’identité satisfait aux conditions d’un énoncé relationnel, parce que deux
« faits de relation » indépendants sont nécessaires pour établir leur
vérité. Ces deux faits sont impliqués par l’usage du critère d’identité.
Je tire les conséquences modales de tout cela, en exposant (de façon plus
complète, me semble-t-il, que ce qui est fait d’habitude) les critiques
bien connues du philosophe et logicien empiriste américain Quine contre la
quantification de re dans les contextes modaux (« Il y a un homme (res) nécessairement cycliste »), qui ne sont pas suffisantes pour rejeter
l’essentialisme (ce qu’il admet lui-même). Je défends l’idée que
l’introduction de critères d’identité et de la notion de sorte justifie
que l’on adopte un essentialisme des « essences nominales ». Dans le débat
entre Kripke et Quine, on discute surtout la possibilité de parler d’une
essence réelle (être identique à  soi, être composé de telle matière, être
composé de telles molécules, etc.). Je trouve que cela biaise le débat. On
peut être essentialiste en restant neutre sur le statut de ce qu’Aristote
appelait les définitions réelles (que j’accepte moi aussi, mais c’est un
tout autre débat). Je conclus mon texte sur des considérations sur la
première personne. Si ce je que je dis a quelque pertinence, alors « Je »
n’est pas référentiel parce qu’il n’est lié à  aucun critère d’identité.

2) Dans le second inédit, La parole donnée, je défends une conception
institutionnaliste de la promesse : il n’est pas possible de promettre
sans que pré-existe à  cet acte une pratique sociale de la promesse,
c’est-à -dire sans que d’autres aient promis avant moi. Sous l’influence de
Rawls, dans les années 50, une certaine conception de la promesse comme
pratique sociale s’est imposée, renforcée par l’analyse linguistique qu’en
avait donné le philosophe américain Searle à  la fin des années 60.
Néanmoins, on considère, dans le monde anglo-saxon, qu’elle a été
surpassée par la théorie de Thomas Scanlon (années 90) qui prétend avoir
montré comment nous pouvons nous dispenser du recours à  l’institution pour
comprendre la promesse. Il suffirait de prendre en compte quelques
principes moraux élémentaires (notamment, celui de ne pas causer de tort
à  autrui). Je consacre un chapitre important à  la réfutation du point de
vue de Scanlon. Par un examen d’analyses alternatives, relevant très
souvent du droit des contrats français ou anglo-saxon ou de la théorie
morale (théorie de la reliance, répandue chez les théoriciens du droit
anglo-saxon, théorie de la véracité de G. Warnock, théorie de l’engagement
unilatéral chez René Worms, théorie des droits subjectifs, etc.), je
montre que l’acte de promettre est un acte qui crée une « société à  petite
échelle » entre le promettant et celui à  qui on fait la promesse, et que
l’analyse de cette petite société nous oblige à  avoir une conception
holiste de l’acte de contracter ou de celui de promettre, qui implique
l’existence d’une règle ou d’une institution qui gouverne les opérations
réciproques des acteurs. Je montre que la nécessité de la présence de
signes, qu’on appelle souvent formalités, n’est pas simplement
l’expression du besoin de chacune des parties de faire connaître à  l’autre
son acceptation (je m’oppose donc à  une certaine interprétation du
consensualisme, admise à  peu près universellement, affirmant que les
contrats modernes naissent théoriquement du simple accord des volontés),
mais qu’elle est exigée par la logique institutionnelle du contrat. C’est
nécessairement dans un signe extérieur à  la tête des agents que la
promesse peut se faire. C’est une manière de défendre, de façon plus
globale, ce qu’on peut appeler un « externalisme social » en philosophie
de l’esprit : nos opérations sociales sont gouvernées par des règles que
nous n’avons pas nous-mêmes instituées et il est illusoire de vouloir les
décomposer en opérations plus simples, comme c’est le cas dans
l’individualisme méthodologique, mais aussi chez des auteurs comme Sugden
ou David Lewis. Pour ce faire, je propose une classification des pratiques
sociales (par similitude, réelles, institutionnelles).

3) Les divers travaux que j’ai entrepris ces dernières années me
conduisent à  orienter mes recherches dans trois directions (outre une
analyse très générale de la notion d’action) : d’abord une philosophie des
institutions, de caractère holiste et « externaliste », qui trouvera à 
s’appliquer surtout en philosophie du droit (en particulier à  la notion de
« droit subjectif ») ; ensuite, au croisement de la philosophie du langage
et de la philosophie des institutions, une analyse des pensées en première
personne; il s’agit notamment de défendre, contre J. Perry ou F. Récanati,
une thèse qui fait du mot « Je » une expression non référentielle, qui
remonte à  Wittgenstein et qui a été défendue par des auteurs comme E.
Anscombe et V. Descombes, mais qui reste néanmoins peu acceptée chez les
philosophes; enfin, par contraste avec les opérations gouvernées par les
règles, une analyse de la notion d’action naturelle, finalisée et non
finalisée, dont mes travaux sur les dispositions constituent le préambule
nécessaire.



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